Cash-flow : la vitamine C des entreprises

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Par Joris Desmares-Decaux
Directeur, Développement économique et Services aux entreprises | Parallèle Alberta.


Avez-vous déjà eu cette petite boule au ventre en consultant votre compte bancaire même après avoir signé plusieurs contrats? Vous avez des clients, des ventes, voire même des subventions, et pourtant votre trésorerie (ou «Clash-flow» en bon français) ne suit pas. C’est le paradoxe silencieux de nombreux entrepreneurs où ce n’est pas le manque de revenus qui tue les entreprises, mais le manque de liquidités.

Soyons honnêtes. Dans le monde des affaires, on aime les histoires de croissance, les levées de fonds spectaculaires (exemple récent de TinyFish qui a levé 47 million USD), les courbes ascendantes, etc.. C’est sexy de dire «j’ai doublé mes ventes en six mois». Mais dans la vie entrepreneuriale, la question qui vous réveille à 3h du matin n’est pas «combien j’ai vendu ?» mais plus «combien me reste-t-il sur le compte pour payer vendredi ?» Le chiffre d’affaires fait briller vos présentations PowerPoint, mais c’est bien la trésorerie qui garde vos lumières allumées au bureau le soir.

«Cash is King» et le chiffre d’affaires son valet

Petit décor économique. Fin août 2025, Desjardins révélait une baisse de 1,6% du PIB au deuxième trimestre. Simultanément dans son Baromètre des Affaires, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) souligne que le problème n°1 des petites et moyennes entreprises (PME) n’est pas la main-d’oeuvre, mais la faiblesse de la demande. 

En gros: moins de clients, plus de temps pour les convaincre d’acheter vos produits/services, et plus de pressions sur les prix. 

Vous pouvez facturer un million cette année et vous retrouver en faillite si cet argent ne rentre jamais en banque. La trésorerie ne ment pas. C’est l’argent disponible aujourd’hui pour saisir une opportunité, investir dans le marketing ou payer vos employés sans en faire des nuits blanches. C’est dans ce contexte que l’entreprise qui dispose de liquidités devient avantagée. 

Elle peut: 

  • saisir des opportunités que ses concurrents trop endettés doivent laisser passer,
  • investir au moment opportun, par exemple en marketing, quand d’autres coupent leurs budgets,
  • ou encore encaisser les imprévus sans sombrer dans la panique.

La trésorerie est à la fois votre fonds de guerre, votre assurance-vie et votre levier de négociation. En d’autres termes sans «cash», même une entreprise rentable peut s’effondrer.

La Banque du Canada a récemment baissé son taux directeur de 2,75 % à 2,50 %. Une bonne nouvelle? Oui…si vous restez lucide. Moins d’intérêts à payer signifie souvent plus de trésorerie disponible, surtout si vous avez des dettes à taux variable ou une ligne de crédit. Mais attention, ce coussin ne doit pas être un prétexte pour dilapider vos flux. Refinancez intelligemment, testez l’impact de chaque dépense sur votre cash-flow des prochains mois, et souvenez-vous que la trésorerie reste la véritable respiration de votre entreprise.

La patience ne paie plus (au sens littéral)

On a souvent entendu des histoires d’entrepreneurs qui avaient de beaux contrats, mais ont coulé parce que leurs clients les payaient six mois en retard. C’est brutal, mais vrai. Les retards de paiement sont un grand trou noir de trésorerie pour les PME. Le vieux «paiement à 30 jours» (ou Net 30 comme souvent employé) appartient au passé. Dans la pratique, il signifie plus souvent 45, 60 ou 90 jours. Et pendant ce temps, vos factures, elles, ne patientent pas. Chaque retard devient une chaîne qui étrangle votre liquidité. Attendre passivement son argent est devenu un luxe dirons nous.

Trois pistes pour inverser la vapeur :

  1. Changez vos règles et imposez un «paiement sur réception» ou au pire un «Net 15». Pour les nouveaux clients, demandez un acompte de 30 à 50 %. C’est devenu une pratique normale.
  2. Proposez des options simples et rapides de paiement (exemple: liens sécurisés, virements Interac, cartes). Si payer devient aussi simple qu’un clic, vous serez payé plus vite.
  3. Soyez malin et offrez un petit rabais pour un paiement ultra-rapide. Par exemple 2% d’escompte si paiement en 48h. 2% de moins vaut mieux qu’un mois sans cash.

Ce n’est pas seulement une question de finances mais aussi une question de posture entrepreneuriale. En exigeant d’être payé plus vite, vous protégez la santé de votre entreprise et vous envoyez un message clair à vos clients que vous prenez vos affaires au sérieux.

Le combat du solopreneur où productivité = trésorerie

Pour les indépendants, le lien entre temps et argent est encore plus brutal. La trésorerie se joue minute par minute. Une heure passée à courir après une facture est une heure non facturable. Et à la fin du mois, ça fait mal.. Ici, la technologie devient votre meilleure alliée avec notamment les lettres magiques du moment : I.A.

L’étude d’août 2025 de freelance.ca montre que la difficulté numéro un des pigistes/solopreneurs est de trouver des mandats. Chaque minute perdue en tâches administratives est donc un frein direct à la trésorerie. Alors, quelques pistes de réflexions:

  • Automatisez vos processus en utilisant des logiciels comme QuickBooks, Wave ou FreshBooks pour générer et envoyer vos factures, avec rappels inclus.
  • Adoptez la «micro-IA». Il existe des outils qui peuvent jouer le rôle d’assistant virtuel pour 50 $ par mois : rédaction de posts, transcription de réunions, création de visuels. C’est une manière d’acheter du temps de travail…sans embaucher avec la nouvelle tendance des «agents IA».
  • Fixez des limites claires et dites non aux contrats mal payés ou qui retardent trop les paiements. Protéger votre trésorerie, c’est parfois renoncer à un revenu apparent.

Une vérité qui pique : grandir moins vite peut vous sauver

C’est le piège classique: la croissance pour la croissance. Plus de clients, plus de staff, plus de locaux… et soudain, plus assez de cash pour suivre. De nombreuses entreprises «à succès» se sont effondrées pour cette raison précise. 

Amateurs de football américain, connaissez-vous l’histoire de la World Football League (WFL)? Lancée en grande pompe dans les années 70 pour concurrencer la NFL, la WFL a dépensé des fortunes pour attirer des joueurs vedettes créant une illusion de succès rapide. Cependant, cette expansion était financée par des dépenses et non par des revenus réels car les stades étaient souvent remplis avec des billets gratuits générant un flux de trésorerie massivement négatif. Incapable de payer ses salaires quelques mois seulement après son lancement, la ligue s’est effondrée de manière spectaculaire, prouvant que la notoriété et un chiffre d’affaires en apparence élevé sont des indicateurs vains sans les liquidités nécessaires pour soutenir les opérations.

Envie de découvrir d’autres histoires d’échecs inspirantes? Je vous invite à visiter failory.com. Un site qui recense de nombreuses entreprises ayant fermé leurs portes et qui peut aider à tirer des leçons.

Accepter de ralentir peut sembler étrange dans un monde obsédé par la croissance. Pourtant, c’est parfois le choix le plus stratégique. Mieux vaut tenir 20 ans à rythme maîtrisé que briller 3 ans avant de s’éteindre.

… en guise de petite conclusion

Bon, soyons clairs: vos revenus ne paient pas vos salaires, votre loyer ou vos impôts. Ce qui paie, c’est l’argent qui dort vraiment dans votre compte bancaire. La trésorerie est plus importante que le chiffre d’affaires parce qu’elle reflète votre capacité à agir maintenant. En 2025, les gagnants ne seront pas ceux qui affichent la plus belle courbe de ventes, mais ceux qui maîtrisent le mieux leur cash-flow.

La croissance à tout prix appartient au passé. L’avenir appartient aux entrepreneurs qui savent gérer leur trésorerie avec rigueur et intelligence. Un solde bancaire positif est comme une pilule de sérénité: vous dormez mieux, vous négociez mieux, vous prenez de meilleures décisions. À l’inverse, quand l’argent manque, chaque appel d’un fournisseur devient une source de stress, et chaque décision est teintée par la peur du lendemain.

Alors, reprenez le contrôle! Et comme le criait Tom Cruise dans Jerry Maguire: «Show me the money!». 

*Photo de Pixabay