Le piège du « toujours plus grand » : et si le vrai succès était de grandir… autrement ?

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Par Joris Desmares-Decaux
Directeur, Développement économique et Services aux entreprises | Parallèle Alberta.


Avez-vous déjà remarqué que quand on parle de la croissance des entreprises, c’est un peu comme celle des enfants? On a hâte qu’elle soit plus grande, qu’elle soit plus autonome, ou encore qu’elle devienne la meilleure!

Être plus grand, plus vite, plus haut, ça fait rêver n’est-ce pas? Mais cette course à la Grandeur peut rapidement vous faire perdre de vue ce qui vous a motivé au départ, à savoir vos idées, votre passion, la résolution d’un vrai problème.

Et si on arrêtait deux secondes cette course à la taille pour se poser une question: et si votre entreprise n’avait pas besoin d’être plus grande, mais d’être plus juste, et centrée sur vous?

Croissance vs grandeur : le mythe sur le terrain et quelques études

Quand on parle avec des entrepreneurs, on entend souvent les mots «croissance» et «grandeur» dans la même phrase comme s’ils allaient de pair. Pourtant, c’est un peu comme confondre «manger mieux» et «manger plus».

Au Canada, on aime les histoires de croissance rapide. C’est peut-être notre version du rêve américain: plus d’employés, plus de ventes, plus d’expansion, etc. Dans les médias et les programmes publics, la réussite se mesure encore trop souvent à la taille d’une entreprise.

Mais sur le terrain, le portrait est tout autre.

Selon le rapport BDC sur l’état de l’entrepreneuriat 2025, la majorité des propriétaires d’entreprise privilégient aujourd’hui une trajectoire plus sage, durable et maîtrisée. Environ 70% des PME visent une croissance faible à modérée, et 40% veulent centrer leurs efforts sur la rentabilité plutôt que sur l’expansion à tout prix.

Cette prudence n’est pas un manque d’ambition mais un signe de maturité. Face à la hausse des coûts, à la baisse de la demande et à la complexité des marchés mondiaux, les dirigeants choisissent de bâtir des entreprises solides plutôt que grandes. Ils misent notamment sur la productivité, la transformation numérique et la formation continue.

Et c’est précisément ce que démontre le rapport BDC: un entrepreneur plus lucide, plus agile et plus résilient. L’époque où l’on jugeait la réussite à la vitesse de l’expansion semble appartenir au passé. Aujourd’hui, les entrepreneurs veulent surtout créer de la valeur, du sens et de la stabilité.

Parce qu’en vérité, la grandeur ne garantit rien. C’est un peu comme acheter des chaussures avec des pointures trop grandes: on finit par trébucher en chemin. D’ailleurs, les faits donnent raison à ceux qui doutent du modèle de la « folie des grandeurs ».

Le passage au «scale-up» (la croissance rapide et massive en bon français) reste ardu au Canada (et ce n’est pas vous, c’est le système).
Dans une étude au titre plutôt évocateur « Scaling Up Is Hard To Do », l’Institut C.D. Howe explique pourquoi tant de PME peinent à franchir le cap: manque d’accès au financement, coûts fixes élevés, contraintes réglementaires… bref, un environnement qui ne favorise pas les bonds de géant. Mais attention cela ne signifie pas qu’il faut renoncer à la croissance mais qu’il existe d’autres voies plus progressives, plus stratégiques pour se développer.

Selon l’enquête 2023 sur le financement et la croissance des PME mané par Statistique Canada (publié en début d’année 2025), ce n’est pas le manque d’ambition qui freine les entrepreneurs. Quand on demande aux dirigeants ce qui limite leur croissance, les obstacles les plus cités sont d’abord opérationnels et structurels. En tête de liste, le coût des intrants (78,9 %), le taux d’imposition des sociétés (72,1 %) et l’augmentation de la concurrence (71,0 %). La leçon ici est qu’avant de vouloir doubler de taille, la plupart des dirigeants sont simplement en train de gérer la réalité, le terrain. Choisir une croissance qualitative (marge, innovation) devient alors une stratégie de résilience, pas un manque d’ambition.

Suivre une croissance choisie pour avancer à votre rythme

Trop souvent, l’ambition de « devenir plus grand » est dictée par des facteurs externes comme les attentes sociales, pressions des investisseurs, ou le fameux jeu du « on-verra-qui-est-le-plus-gros ». Mais dans ce brouhaha l’essentiel est parfois oublié: vous, le propriétaire-dirigeant, votre équipe et votre mission.

La croissance ce n’est pas que des chiffres. Derrière l’entreprise, il y a vous. Il y a la peur de perdre le contrôle en déléguant, le syndrome de la comparaison, et ce sentiment de décalage quand l’entreprise grandit trop vite. Si vous grandissez parce qu’il le « faut », vous risquez de perdre votre passion. Et sans passion, bonjour la lassitude….
Le vrai courage entrepreneurial, aujourd’hui, ce n’est plus de courir plus vite, mais de ralentir et de choisir consciemment.

Fermez donc les yeux un instant… 

(pas trop longtemps, sinon vous risquez de manquer la suite !). 

Revêtez votre chapeau d’explorateur et imaginez une carte autour de votre entreprise, comme une boussole indiquant plusieurs voies de croissance. Plutôt que de courir uniquement vers le nord du « plus de cash», vous pouvez décider de prendre d’autres directions pour trouver votre équilibre entre ambition et cohérence.

Voici quelques routes possibles :

  1. L’innovation : Lancer de nouveaux services, repousser les limites, devenir une référence créative.
  2. La qualité : Faire mieux plutôt que faire plus. Bâtir une réputation sur l’excellence de l’expérience client.
  3. Le réseau : Grandir ensemble. Bâtir sa force sur des partenariats circulaires ou stratégiques.
  4. La rentabilité (ou l’optimisation) : Augmenter les marges, mieux s’organiser. Le fameux «travailler moins, mais être mieux payé».
  5. Le volume : Oui, ça reste une option! Si vous aimez gérer des équipes nombreuses et conquérir des marchés, foncez mais en conscience des défis. 

Ces voies forment une sorte de boussole de croissance. L’important n’est pas de suivre toutes les voies, mais de choisir la vôtre et d’accepter les compromis que cela implique. Après tout, grandir, c’est aussi décider ce qu’on ne fera pas.

Mini plan de match (sans tableau Excel!)

Avant de vous lancer tête baissée dans un nouveau plan de croissance, posez-vous trois questions toutes simples:

  1. Quelle croissance me fait vibrer ?
    Est-ce que j’ai envie d’innover, d’offrir un service exceptionnel à mes clients, ou simplement de retrouver le plaisir de diriger ? Voilà votre « Pourquoi ».
  2. Mes équipes/partenaires sont-ils prêts?
    Chaque type de croissance à ses exigences: la qualité nécessite des experts, le réseau demande des connecteurs, le volume une meilleure capacité de production. Vérifiez que votre équipe ou partenaires peuvent suivre le rythme.
  3. Comment je saurai que j’avance dans la bonne direction ?
    Ne vous fiez pas qu’au chiffre d’affaires. Si votre objectif est la qualité, regardez la fidélité de vos clients. Si vous misez sur le réseau, comptez vos partenaires actifs. Choisissez des indicateurs qui reflètent vraiment ce que vous voulez accomplir.
En guise de petite conclusion…

Redéfinir le succès, ce n’est pas renoncer. C’est décider de construire une entreprise qui a du sens, qui vous ressemble et qui respecte vos valeurs. C’est créer la version de votre entreprise dont vous serez fier, pas celle qu’on vous dit de viser.

Alors, si quelqu’un vous demande un jour: « Alors, tu veux devenir le prochain Shopify? » souriez et répondez  « Pas besoin ! Moi, c’est version Frank Sinatra et Céline Dion : “I did it my way… and my business will go on !” »

 

Photo : Olia Danilevich